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LE SORT DES LOYERS COMMERCIAUX EN PERIODE DE CRISE SANITAIRE

LE SORT DES LOYERS COMMERCIAUX EN PERIODE DE CRISE SANITAIRE

NON PAIEMENT DES LOYERS COMMERCIAUX ET PROFESSIONNELS :

LA PRUDENCE S’IMPOSE

 

 

Afin de faire face aux difficultés rencontrées par les entreprises en cette période de crise sanitaire exceptionnelle, l’Etat a pris un certain nombre de mesures. Ainsi le Président MACRON a-t-il, lors de son allocution du 16 mars 2020, annoncé notamment la possibilité de suspendre le paiement des loyers commerciaux et professionnels.

 

Cette mesure a été entérinée par l’ordonnance du 25 mars 2020 n° 2020-316, publiée au Journal Officiel du 26 mars 2020.

Toutefois, la mesure prise est bien différente de celle annoncée…

En effet, il convient de reprendre notamment deux articles de ce texte :

 

  • L’article 1 dispose ainsi que sont éligibles :

 

« les personnes physiques et morales de droit privé exerçant une activité économique qui sont susceptibles de bénéficier du fonds de solidarité mentionné à l'article 1er de l'ordonnance n° 2020-317 du 25 mars 2020 susvisée. Celles qui poursuivent leur activité dans le cadre d'une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire peuvent également bénéficier de ces dispositions au vu de la communication d'une attestation de l'un des mandataires de justice désignés par le jugement qui a ouvert cette procédure. Les critères d'éligibilité aux dispositions mentionnées ci-dessus sont précisés par décret, lequel détermine notamment les seuils d'effectifs et de chiffre d'affaires des personnes concernées ainsi que le seuil de perte de chiffre d'affaires constatée du fait de la crise sanitaire. »

 

Etant entendu que sont éligibles au fonds de solidarité créé par l’ordonnance n°2020-316 du 25 mars 2020, toutes les petites entreprises, en ce compris les indépendants et les professions libérales qui :

  • Ont moins de 10 salariés,
  • Réalisent un chiffre d’affaire inférieur à un million d’euros et présentent un bénéfice imposable inférieur à 60.000 euros
  • Subissent une fermeture administrative ou qui auront connu une perte de chiffre d’affaires de plus de 70% au mois de mars 2020 par rapport au mois de mars 2019.
  •  

Précision faite que ces conditions sont cumulatives.

 

  • l’article 4 dispose quant à lui :

 

« Les personnes mentionnées à l'article 1er ne peuvent encourir de pénalités financières ou intérêts de retard, de dommages- intérêts, d'astreinte, d'exécution de clause résolutoire, de clause pénale ou de toute clause prévoyant une déchéance, ou d'activation des garanties ou cautions, en raison du défaut de paiement de loyers ou de charges locatives afférents à leurs locaux professionnels et commerciaux, nonobstant toute stipulation contractuelle et les dispositions des articles L. 622- 14 et L. 641-12 du code de commerce.

Les dispositions ci-dessus s'appliquent aux loyers et charges locatives dont l'échéance de paiement intervient entre le 12 mars 2020 et l'expiration d'un délai de deux mois après la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire déclaré par l'article 4 de la loi du 23 mars 2020 précitée. »

 

Ainsi, il n’est nullement établi que les entreprises éligibles (ce qui demeure en outre pour le moins limitatif) puissent se dispenser de payer leurs échéances de loyers.  

Seule une exonération de sanction en cas de non paiement durant la crise sanitaire et jusqu’à deux mois après son échéance est elle expressément spécifiée, sans qu’aucune précision ne soit apportée sur les modalités de régularisation des impayés.

A ce titre, reprenons l’article 4 de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d'urgence sanitaire et à l'adaptation des procédures pendant cette même période:

 

« Les astreintes, les clauses pénales, les clauses résolutoires ainsi que les clauses prévoyant une déchéance, lorsqu'elles ont pour objet de sanctionner l'inexécution d'une obligation dans un délai déterminé, sont réputées n'avoir pas pris cours ou produit effet, si ce délai a expiré pendant la période définie au I de l’article 1er. Ces astreintes prennent cours et ces clauses produisent leurs effets à compter de l'expiration d'un délai d'un mois après la fin de cette période si le débiteur n'a pas exécuté son obligation avant ce terme. Le cours des astreintes et l'application des clauses pénales qui ont pris effet avant le 12 mars 2020 sont suspendus pendant la période définie au I de l'article 1er. »

 

Il en résulte que, dans un délai maximal d’un mois après la fin de la crise sanitaire, il appartiendra au débiteur de veiller à :

 

  • Soit payer les arriérés de loyers éventuellement dans le cadre d’un commandement visant la clause résolutoire
  • Soit de les contester devant la juridiction compétente
  • Soit de solliciter la juridiction compétente aux fins de suspendre les effets de la clause résolutoire et d’accorder des délais de paiement ou un report de paiement pouvant aller jusqu’à 24 en application des dispositions de l’article 1343-5 du code civil.
  •  

Ainsi, il apparait que quelque soit l’entreprise, éligible ou non, les dirigeants doivent faire preuve de la plus grande prudence dans leur éventuel choix de s’exonérer du paiement de leurs loyers commerciaux ou professionnels.

 

Dès lors, quels sont les outils juridiques dont peuvent se prévaloir les entreprises pour suspendre le paiement de leurs loyers commerciaux ou professionnels ?

 

1/ la mise en cause de la force majeure

 

L’article 1218 du Code Civil définit la force majeure comme suit :

« Il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu'un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l'exécution de son obligation par le débiteur. 

Si l'empêchement est temporaire, l'exécution de l'obligation est suspendue à moins que le retard qui en résulterait ne justifie la résolution du contrat. Si l'empêchement est définitif, le contrat est résolu de plein droit et les parties sont libérées de leurs obligations dans les conditions prévues aux articles 1351 et 1351-1.3 »

 

Ainsi, si l’entrepreneur envisage d’invoquer la force majeure au soutien de son abstention de paiement, il devra justifier de de trois conditions cumulatives qualifiant l’évènement à l’origine de cette suspension, savoir qu’il doit :

 

  • Echapper à son contrôle
  • Etre imprévisible à la date de conclusion du contrat.
  • Etre irrésistible, soit qu’il ne peut y être mis fin par des mesures appropriée prises par le preneur.

 

Si cela ne semble pas poser difficulté s’agissant des deux premières conditions, dès lors que le bail a été conclu préalablement au 16 mars 2020, date de l’annonce du confinement par le Président de la République , il est plus difficile de justifier de la dernière condition.

 

Bien que le 28 février 2020 le ministre de l’Economie et des Finances ait annoncé le Covid 19 comme cas de force majeure, il n’en découle pas de facto la possibilité pour des co-contractants de suspendre leurs obligations contractuelles.

 

En effet, les dispositions de l’article 1104 du Code Civil sont toujours applicables, savoir les obligations de bonne foi et de loyauté demeurent (article 1104 du code civil).

 

Autrement dit, la simple évocation de la cause « covid 19 » ne suffit pas.

 

Par ailleurs, il est absolument nécessaire de vérifier :

 

  • pour chaque contrat que la force majeure n’a pas été écartée par les parties, ce qui excluerait bien évidemment tout recours aux dispositions de l’article 1218 du Code Civil sus-visé.
  • Pour chaque contrat, la définition de la force majeure et les clauses de suspension

 

En toute hypothèse, au vu de la jurisprudence actuelle, la force majeure ne saura être retenue de manière systématique, mais devra être étudiée au cas par cas.

 

La baisse du chiffres d’affaires pourrait ne pas suffire dès lors que l’entreprise qui aurait suspendu le paiement de ses loyers ne justifierait pas d’une impossibilité avérée de régler les échéances, surtout si une activité partielle a été maintenue.

 

Enfin, il existe un réel risque à suspendre les paiements de loyers, quand bien même la force majeure trouverait à s’appliquer.

 

En effet, en l’état actuel de la situation, aucune date de sortie de crise n’est arrêtée. Or, dans l’hypothèse d’une crise s’installant dans la durée, le bailleur serait parfaitement légitime à se prévaloir de l’alinea 2 de l’article 1218 du Code Civil et prononcer ainsi la résiliation du bail avec toutes les conséquences qui en découlent dont la perte du fonds de commerce….

 

2/ La mise en jeu de l’imprévision

 

Elle pourrait justifier de la suspension des paiements.

 

En effet, l’article 1195 du code civil dispose :

 

« Si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l'exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n'avait pas accepté d'en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation.

En cas de refus ou d'échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu'elles déterminent, ou demander d'un commun accord au juge de procéder à son adaptation. A défaut d'accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d'une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu'il fixe. »

 

A l’instar de la force majeure, il conviendra de vérifier au préalable dans le contrat :

 

  • La date de conclusion
  • Les éventuelles clauses de définition et de gestion de l’imprévision

 

Dans l’hypothèse d’un tel recours, il s’agira alors de justifier du caractère « excessivement onéreux » du maintien du paiement du loyer au prix contractuel, sachant que ce critère demeure d’appréciation subjective et par conséquent incertaine.

 

Au surplus, il convient de souligner que le recours à l’imprévision ne dispense le preneur du paiement total ou partiel de ses loyers qu’avec l’accord du bailleur ou en application d’une décision de justice.

 

Enfin, il pourrait être ici évoqué l’exception d’inexécution définie par l’article 1219 du Code Civil en ces termes :


« Une partie peut refuser d’exécuter son obligation, alors même que celle-ci est exigible, si l’autre n’exécute pas la sienne et si cette inexécution est suffisamment grave. »

 

Elle pourrait ainsi s’appliquer dès lors que l’entreprise, contrainte de fermer, ne peut plus jouir de ses locaux professionnels. Ainsi, perdant le bénéfice de toute jouissance, il serait bien fondé à suspendre les paiements.

 

Toutefois, cette disposition se doit d’être maniée avec grande prudence car le bailleur pourrait, à juste titre, contester l’imputabilité à son endroit d’un tel défaut de jouissance.

 

En conclusion, la suspension du paiement des loyers commerciaux et professionnels n’est en l’état nullement expressément prévue par les textes et il convient d’être extrêmement vigilant quant au recours à la force majeure ou l’imprévision.

Nous sommes à votre disposition pour vous accompagner dans cette démarche.

N’hésitez pas à nous contacter.

Publié le 10/04/2020

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